
Les échos du Loriot
Le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Ce podcast présente des traductions françaises d'interviews réalisées avec des journalistes, scientifiques et naturalistes qui parlent anglais ou japonais.
Découvrez ou redécouvrez des animaux, des plantes, et des problématiques de l'écologie, à travers de nouveaux points de vue !
Les échos du Loriot
01 - Le castor, ingénieur des écosystèmes (1/3) avec Ben Goldfarb
Dans ce premier épisode, je m'entretiens avec Ben Goldfarb, un journaliste américain qui a écrit un livre passionnant sur la vie secrète du castor. Cet animal qui a la capacité de modifier son environnement peut rendre de nombreux services à l'écosystème ainsi qu'aux sociétés humaines.
Crédits :
- Musique "Sunday Coffee" de Rebecca Mardal.
- Illustrations par Rohith W.
- Avec la voix de Robin Grimaldi.
Les Échos du Loriot, le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Épisode 01
Geoffrey
Bonjour et bienvenue dans le premier épisode de ce podcast qui propose de présenter des sujets en lien avec la nature à travers un nouveau concept.
Je suis Geoffrey, un ancien chercheur en comportement animal devenu traducteur de l’anglais et du japonais vers le français.
J’ai décidé de me lancer dans cette aventure pour mettre ces compétences au service de la curiosité en interrogeant des passionnés de nature du monde entier.
Il existe déjà de très bons podcasts en français sur la nature qui font appel à des intervenants francophones, j’ai donc souhaité apporter un point de vue différent en interrogeant des journalistes, scientifiques, ou naturalistes qui parlent anglais ou japonais.
La barrière de la langue n’est plus un problème, car toutes les interviews de ce podcast seront traduites en français par mes soins, et mon invité bénéficiera d’un doublage français de qualité !
Je vous propose de commencer sans attendre par le premier sujet qui va nous occuper : le castor ! Tout le monde connaît ce rongeur qui construit des barrages, mais on connaît moins la vie secrète de cet animal, et les nombreux services qu’il peut rendre à la société.
Pour traiter ce sujet, j’ai invité Ben Goldfarb, un journaliste américain qui a écrit un très bon livre sur le sujet. L’interview que vous allez entendre a été traduite de l’anglais, et Robin Grimaldi assure le doublage français de notre intervenant du jour.
Et quoi de mieux qu’une interview au grand air pour parler de nature ? Je vous propose de chausser nos bottes et d’aller retrouver notre invité sur le terrain !
Transition
Geoffrey
– Bonjour Ben ! Je suis ravi d’avoir l’occasion d’échanger avec vous.
Ben
– Bonjour Geoffrey ! Merci à vous pour l’invitation.
Geoffrey
– Comme je le disais tout à l’heure, j’ai lu votre livre intitulé Eager: The Surprising, Secret Life of Beavers and Why They Matter, qu’on pourrait traduire par “Ferveur : l’étonnante vie secrète des castors et leur rôle majeur”. Votre livre n’est pour le moment disponible qu’en anglais, mais je le recommande à toute personne intéressée.
Alors, on va expliquer à nos auditeurices où on se trouve actuellement, mais est-ce que vous pourriez commencer par une petite présentation ?
Ben
– Bien sûr ! Je suis Ben Goldfarb, journaliste de l’environnement, donc j’écris des livres et des articles sur la nature et sa conservation. Je suis l’auteur de deux livres, vous avez cité le premier sur les castors, et l’autre se nomme Crossings et traite de l’impact des routes sur les écosystèmes. En fait, j’ai toujours été passionné par la nature depuis mon enfance, j’adorais faire de la randonnée, pêcher, faire du camping… Je me considère vraiment chanceux d’avoir un travail qui me permet d’en apprendre plus chaque jour sur la nature, de visiter de nombreux endroits, rencontrer toutes sortes de passionnés, de scientifiques, et ça me permet de raconter au public pourquoi la conservation de l’environnement est si importante.
Geoffrey
– Je pense que cette notion de “raconter” est vraiment importante, parce que beaucoup de scientifiques font des découvertes passionnantes, mais “raconter” et intéresser le public, c’est vraiment une autre compétence.
Ben
– Oui, c’est vrai ! Je pense que la vulgarisation et la transmission sont un aspect très important de la science et de la conservation, je prêche un peu pour ma paroisse, mais bon… On vit dans une société où les gens sont un peu séparés de la nature, on passe notre temps à l’intérieur, devant des écrans, alors je pense que c’est important de mettre la lumière sur cette nature qui nous entoure.
Geoffrey
– Je suis bien d’accord, et c’est aussi le but de ce podcast ! Aujourd’hui, on va se focaliser sur le castor, et il y a beaucoup à dire. Pour commencer, pourquoi avez-vous choisi d’écrire un livre sur cet animal ?
Ben
– En fait, j’ai toujours été intéressé par cet animal. Comme je l’ai dit, j’adore les activités en plein air, et dans de nombreux endroits aux États-Unis, il n’est pas rare de rencontrer des castors. Je me souviens par exemple d’une fois où je pêchais dans la rivière Beaver Kill, dans l’état de New York, et un castor est passé à quelques centimètres de mes jambes, c’était assez unique.
Mais pour être honnête, ma vraie passion pour cet animal a commencé il y a un peu plus de 10 ans, en 2014, je vivais à Seattle, dans l’état de Washington, j’étais déjà journaliste et je cherchais des sujets à traiter. Quelqu’un m’a envoyé une pub pour un “séminaire sur les castors”. Je n’avais aucune idée de ce qu’on pouvait raconter dans ce genre de séminaire, mais j’étais curieux alors j’y suis allé. Finalement, c’était une succession de scientifiques qui venaient les uns après les autres expliquer pourquoi les castors sont si importants. En fait, ils rendent ce qu’on appelle des “services écosystémiques”. Ça veut dire que leur présence et leurs activités rendent des services aux sociétés humaines.
Geoffrey
– Oui, c’est une notion importante, et on aura l’occasion d’y revenir, mais c’est un point clé à souligner.
Ben
– Absolument, et les participants à ce séminaire ont évoqué toutes sortes de services : les castors construisent des barrages qui forment des étangs et des zones humides, ces zones humides filtrent la pollution et améliorent la qualité de l’eau, elles stockent de grandes quantités d’eau et luttent contre les sécheresses, qui sont un problème majeur dans l’ouest des États-Unis, elles protègent aussi de vastes zones contre les incendies. En plus, elles constituent des habitats importants pour toutes sortes de poissons, oiseaux et d’autres organismes.
En entendant tous ces scientifiques exposer les faits, j’ai réalisé que les castors n’étaient pas juste des boules de poils toutes mignonnes, ils sont en fait une solution majeure à certains de nos problèmes environnementaux les plus importants. Donc on peut dire que c’est à ce moment-là qu’a débuté ma véritable obsession pour le castor.
Geoffrey
– Je comprends. Vous avez expliqué que les castors sont une force majeure pour façonner les paysages, et c’est aussi le cas de celui qui nous entoure actuellement. Est-ce que vous pouvez décrire à nos auditeurices l’environnement où on se trouve ?
Ben
– Nous sommes dans le Colorado, près d’un étang à castors où j’adore venir me promener, ce n’est pas très loin de chez moi. C’est une vallée encaissée entourée par de hautes montagnes, on peut voir ces falaises de granite au loin. Au milieu, il y a un petit cours d’eau appelé Cottonwood Creek. Les castors y ont construit un barrage qui fait environ 20 m de long, et l’eau s’est répandue au fond de la vallée. Donc on a un étang qui fait sûrement… quelques hectares. Et les castors ont abattu beaucoup d’arbres pour construire ça, alors on voit dépasser de l’eau plein de vieux troncs et des souches qui sont restées en place. C’est un endroit où je vois souvent des élans qui viennent brouter la végétation dans les eaux peu profondes, il y a toutes sortes de rapaces, des canards, des martins-pêcheurs… Il y a aussi une énorme diversité de poissons, donc c’est vraiment un endroit plein de vie, et les castors eux-mêmes ne sont pas si difficiles à observer. Quand on vient au coucher du soleil, on peut facilement les voir nager. Et parfois, quand ils se sentent en danger, on les entend frapper la surface de l’eau avec leur queue…
Bruit d’un castor frappant la surface de l’eau.
Geoffrey
– Ah ! Il y en a un qui vient de passer… C’est vrai que ça surprend comme bruit.
Ben
– Oui, voilà ! C’est presque comme une explosion dans l’eau ! Et après quelques minutes, en général, ils se calment et ils réalisent qu’on ne constitue pas une menace alors ils reprennent leurs activités. Ils vont mastiquer des branches, rapporter des troncs ici et là pour agrandir où entretenir leur barrage… C’est vraiment un spectacle intéressant.
Geoffrey
– Donc ce n’est pas si difficile de les observer. Vous pensez qu’ils sont moins craintifs qu’à l’époque où ils étaient régulièrement chassés ?
Ben
– Oui, je pense ! Vous voyez, il y a une route pas très loin de cet étang, donc il y a quand même pas mal de circulation. Les castors s’habituent à tout ce passage sans trop de problèmes et ils ne s’en inquiètent pas plus que ça.
Geoffrey
– La plupart des gens connaissent les castors pour leurs barrages, mais je crois qu’ils construisent aussi parfois ce qu’on appelle des huttes. Vous pouvez nous en dire plus sur leur mode de vie ?
Ben
– C’est exact. Les castors construisent principalement deux types de structures. Il y a d’abord la hutte, qui joue le rôle d’abri et de maison. Elle peut prendre la forme d’une sorte d’île en rondins de bois qui émerge au milieu de l’eau, mais elle est souvent rattachée à la rive. Les huttes cachent des tunnels d’accès avec des entrées sous l’eau qui permettent aux castors d’entrer et de sortir sans s’exposer aux prédateurs. À l’intérieur de la hutte, il y a une sorte de chambre surélevée qui sert de lieu de vie à la famille. Mais certains castors choisissent simplement de creuser des terriers dans la rive, donc il y a vraiment plusieurs types d’habitations pour cet animal.
Geoffrey
– Ah oui, donc ils ont plusieurs façons de faire. Et ils vivent en groupes familiaux, c’est ça ?
Ben
– Oui, c’est ça. En général, une famille de castors compte de 2 à 8 individus, les deux parents forment un couple monogame, et ils sont accompagnés par leur progéniture qui peut se séparer en trois classes d’âge. Il y a les jeunes de l’année qui sont nés au printemps, les jeunes âgés d’un an, et enfin ceux qui ont 2 ans. Et tout ce petit monde collabore, les rejetons plus âgés aident à élever leurs petits frères et soeurs, et les individus âgés de 2 ans finiront par quitter la hutte pour se disperser et trouver leur propre territoire.
Donc ce sont des animaux très tournés vers la famille. On peut dire aussi qu’ils sont nocturnes, ils sortent en général au coucher du soleil, travaillent toute la nuit, et vont se coucher à l’aube. Une de leurs activités principales est bien sûr de travailler sur leur barrage, qui est pour eux un gage de sécurité. Il faut comprendre qu’un castor hors de l’eau est extrêmement lent et vulnérable, il peut facilement être attaqué par un loup, ici on a aussi des pumas et des ours… Donc construire ce barrage permet aux castors d’agrandir la surface de l’étang qui les protège et qui leur permet de se déplacer. Ils créent ainsi leur propre habitat.
Geoffrey
– Et en faisant ça, ils étendent aussi leur zone de recherche alimentaire puisqu’ils peuvent accéder à plus d’arbres sans s’éloigner de l’eau, non ?
Ben
– C’est vrai. Après, il faut noter qu’ils sont quand même capables de s’éloigner de l’eau, mais c’est effectivement dangereux. Et donc oui, agrandir la surface de leur étang leur permet de nager en toute sécurité jusqu’à de nouveaux arbres appétissants sans se mettre en danger
Geoffrey
– Ça me fait penser que les castors que vous observez sont d’une autre espèce que ceux qui vivent en Europe, c’est bien ça ?
Ben
– Tout à fait !
Geoffrey
– Oui, voilà. Vous expliquez dans votre livre que les castors américains sont différents des castors européens, quelles sont leurs différences, exactement ?
Ben
– Ah, c’est une bonne question… Il y a bien deux espèces de castors : l’espèce américaine est appelée castor du Canada (Castor canadensis en latin) et l’espèce eurasiatique s’appelle simplement le castor d’Europe (Castor fiber en latin). En fait, un biologiste spécialiste du castor pourrait différencier les deux espèces au premier coup d’oeil, mais moi, je n’en suis pas capable… En général, on dit que le castor d’Europe a une fourrure un peu plus sombre que le castor du Canada. Ils n’ont pas le même nombre de chromosomes, donc ils ne peuvent pas se reproduire entre eux, mais en termes de fonctions dans l’écosystème et d’impact sur le paysage, ils sont assez similaires. Ils construisent des barrages, ils créent des zones humides. Mais par contre, je me dis qu’ils vivent dans un contexte environnemental différent.
Par exemple, si on se place dans l’ouest américain, notamment dans le Colorado, où je vis, c’est une région qui devient de plus en plus chaude et sèche à cause du changement climatique, donc les castors peuvent nous aider à lutter contre les sécheresses en construisant ces milliers de réservoirs. Mais en Europe, notamment au Royaume-Uni, on s’intéresse aussi au castor pour d’autres problématiques. Il y a des castors qui sont réintroduits en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Ces régions deviennent plus humides avec le changement climatique, il y a davantage de précipitations et cela peut entraîner des inondations terribles. Mais dans ce cas, on s’intéresse à la capacité des castors à réduire les inondations. Ça peut paraître contre-intuitif, mais les castors sont aussi des alliés dans ce contexte. Il faut imaginer cet énorme afflux d’eau qui se déverse dans les cours d’eau lors des pluies torrentielles, les barrages de castors permettent de capter cette eau et de l’étaler dans des plaines inondables, et ainsi ils réduisent les dégâts. Je trouve ça vraiment intéressant de se dire que les castors sont vus comme des alliés contre la sécheresse en Amérique, et au contraire comme des alliés contre les inondations de l’autre côté de l’Atlantique. On a deux problèmes opposés, et la solution est la même !
Geoffrey
– C’est vrai, et je pense qu’il faut insister sur le fait que les castors sont aussi des alliés contre les inondations, parce que comme vous l’avez dit, c’est assez contre-intuitif, et on se dit souvent que les castors sont plutôt des causes d’inondations.
Ben
– Tout à fait, et comme je l’ai dit, c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Il y a des recherches à l’université d’Exeter, en Angleterre, qui ont montré qu’une seule famille de castors sur un cours d’eau peut permettre de capturer 30% de l’eau en excès qui entraînerait sinon des inondations, donc il y a vraiment un effet protecteur de ces animaux et de leurs barrages.
Geoffrey
– C’est un atout qui serait important à faire valoir aussi en France, parce que les inondations sont un problème récurrent qu’on voit de plus en plus dans l’actualité. Par exemple, en Bretagne, on a vu des inondations record cet hiver. On devrait commencer à évoquer les castors comme une des solutions !
Ben
– Absolument ! Il faut répandre la bonne parole !
Geoffrey
– Et pour en revenir aux différences entre les deux espèces de castors, je crois que vous mentionnez dans votre livre qu’elles ont divergé il y a environ 8 millions d’années. Et je trouve ça assez frappant quand on sait par exemple que les humains et les chimpanzés ont divergé il y a seulement 6 millions d’années, donc les deux espèces de castors ont divergé bien avant nous. Pourtant, on voit beaucoup de différences entre nous et les chimpanzés, alors que les deux castors montrent très peu de différences, c’est peut-être aussi une preuve qu’ils sont particulièrement bien adaptés à leur environnement et qu’ils n’ont pas eu besoin de se différencier davantage.
Ben
– Je suis d’accord, on peut dire que leur mode de vie semble être une source de succès évolutif. À l’origine, la famille des castoridés a émergé en Amérique du Nord, et ils ont ensuite traversé par la terre pour atteindre l’Eurasie, à une époque où le niveau de la mer était plus bas. Et l’espèce Castor canadensis a ensuite retraversé pour revenir en Amérique. Donc on a vraiment des animaux qui font des allers-retours entre ces deux continents au fil des époques. En tout cas, on peut dire que leur stratégie évolutive est un franc succès, parce qu’ils transforment leur environnement pour satisfaire leurs besoins. Au fil des époques, il y a eu beaucoup d’espèces dans la famille des castoridés, mais la plupart des autres ne construisaient pas de barrages. On pense qu’elles se sont éteintes parce qu’elles ne pouvaient pas transformer leur habitat, surtout en période de sécheresse. Donc cette capacité de modifier leur environnement qu’ont les deux espèces actuelles est vraiment une clé de leur survie.
Geoffrey
– Bien, je pense qu’on va en rester là pour ce premier épisode. Pour conclure, j’aimerais juste vous demander si vous seriez d’accord pour répondre aux questions que nos auditeurices se poseraient sur le castor.
Ben
– Mais avec plaisir !
Geoffrey
– Très bien ! Dans ce cas, si vous avez des questions sur les sujets que vous avons abordés, n’hésitez pas à les poser en commentaire de cet épisode, et je les traduirai en anglais pour les poser directement à Ben !
Merci à vous d’avoir suivi ce premier épisode des Échos du Loriot, on se retrouve dans le prochain épisode pour la deuxième partie de cette interview ! D’ici là portez-vous bien, et restez à l’écoute de la nature !