Les échos du Loriot

04 - Le renard roux, as de l'adaptation (1/2) avec Adele Brand

Geoffrey Ruaux Episode 4

Dans cette nouvelle interview, nous nous mettons en route vers la campagne anglaise pour rencontrer Adele Brand, une experte britannique du renard roux qui nous fait découvrir le mode de vie étonnant de cet animal que l'on pense bien connaître, mais qui nous réserve pourtant des surprises.


Crédits :

- Musique "Sunday Coffee" de Rebecca Mardal.
- Illustrations par Rohith W.
- Avec la voix de Sonia Cruchon.

Les Échos du Loriot, le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !

Épisode 04


Geoffrey

Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Échos du Loriot qui marque le début d’une nouvelle interview !


Nous allons aujourd’hui parler du renard roux, un animal qui ne vit pas si loin de nous et qui a toujours été très présent dans les fables et autres contes. On l’admire depuis longtemps pour sa ruse et sa capacité à s’adapter à tous les environnements, même ceux que l’on a fortement dégradés. On pense bien le connaître, mais la plupart des gens ne savent pas grand-chose à son sujet. Pour preuve, la chanson du duo norvégien Ylvis : “What does the fox say” faisait le buzz il y a une dizaine d’années, et totalise aujourd’hui plus d’1 milliard de vues sur YouTube. La chanson s’amuse du fait qu’on a des mots pour décrire le cri de beaucoup d’animaux, mais qu’on ignore celui du renard. Pourtant, comme on va le voir, il est loin d’être muet.


Nous allons discuter avec une experte britannique du renard : Adele Brand, qui a écrit un livre passionnant sur cet animal. Comme la dernière fois, l’interview que vous allez entendre a été traduite de l’anglais, et c’est Sonia Cruchon qui assure le doublage français de notre intervenante.


Je vous propose de nous mettre en route sans attendre pour rejoindre la campagne anglaise sur la piste du renard !


Transition


Geoffrey

– Bonjour Adele, merci à vous de nous accorder un peu de temps.


Adele

– Bonjour Geoffrey ! C’est un plaisir de participer à ce podcast.


Geoffrey

– Nous allons aujourd’hui parler de votre livre intitulé “The Hidden World of the Fox” (le monde caché du renard) dans lequel vous partagez toutes sortes d’observations et de détails sur la vie secrète de cet animal. A noter qu’il n’est pour le moment disponible qu’en anglais, mais on va discuter de son contenu en détail.


D’abord, est-ce que vous pourriez commencer par une petite présentation ? Qu’est-ce qui vous a amenée à vous passionner pour les renards ?


Adele

– Je suis Adele Brand, et je travaille dans le secteur de la préservation de l’environnement au Royaume-Uni. Avant ça, j’ai eu la chance de participer à toutes sortes d’expéditions scientifiques qui m’ont amenée dans des écosystèmes très variés, des prairies roumaines jusqu’aux jungles mexicaines. J’ai un diplôme en écologie et je m’intéresse particulièrement à la conservation des prairies ainsi que des mammifères.


Pour ce qui est des renards, ils ont toujours été à mes côtés. J’ai grandi dans le sud de l’Angleterre, et je les voyais souvent passer sur une route ou un chemin à la nuit tombée avec leur air mystérieux, ou encore manger des cacahuètes laissées sous une mangeoire à oiseaux. Je me suis toujours intéressée à la nature, mais les renards attiraient davantage mon attention, peut-être parce que c’était plus facile de reconnaître les différents renards entre eux et de suivre le déroulement de l’existence de chacun, avec ses hauts et ses bas.


Geoffrey

– C’est vrai que ces animaux attirent la curiosité et la fascination. Et donc c’est de cette passion qu’est parti votre livre ?


Adele

– Pour moi, ça allait de soi de l’écrire. Les renards m’ont offert tellement de moments uniques que j’avais des tas de choses à raconter. Mais j’avais aussi d’autres raisons : les revues scientifiques contiennent beaucoup de travaux passionnants sur les renards, mais ils ne sont pas accessibles au grand public. Ils sont bourrés de jargon scientifique et il faut souvent payer cher pour y accéder. Donc j’ai voulu écrire sur le sujet pour partager ces connaissances avec un public plus large.


Geoffrey

– C’est souvent cette envie de vulgariser les connaissances qui mène à de très bons livres sur la nature ! Ce podcast partage en tout cas le même esprit.


Adele

– Tout à fait, et un autre de mes objectifs était d’améliorer notre relation avec les renards en identifiant les causes des conflits potentiels et les solutions possibles.


Geoffrey

– Parfait, on reparlera de ce point dans notre interview ! Mais d’abord, est-ce que vous pourriez expliquer à nos auditeurices où on se trouve ? Vous m’avez emmené sur l’un de vos terrains de jeu préférés.


Adele

– C’est vrai, vous vouliez que notre interview ait lieu dans un environnement typique où j’observe les renards, alors comme on les trouve partout, des villes surpeuplées aux contrées les plus sauvages, en passant par les villages de campagne, j’ai choisi de présenter cet entre-deux : un quartier résidentiel en périphérie d’un village anglais. C’est une fraîche soirée pluvieuse typique du mois de novembre, les maisons qui nous entourent sont anciennes et clairsemées, avec des jardins plantés de grands arbres. Derrière certains portails, des chiens sont à l’affût et aboient sur les passants. On entend parfois les cloches de l’église du village qui doit bien dater du XIIe siècle. Mais la plupart des gens sont bien au chaud chez eux par une telle soirée. Autour de nous, on peut voir des chênes, quelques bouleaux, et des champignons qui ont poussé à leurs pieds, comme l’amanite tue-mouches. On entend aussi parfois l’appel de la chouette hulotte, ou une nuée de grive mauvis en pleine migration au-dessus de nos têtes.


Geoffrey

– C’est une atmosphère à la fois relaxante et mystérieuse.


Adele

– Si on tend bien l’oreille et qu’on ouvre l'œil, on peut parfois apercevoir une silhouette à la queue touffue trottiner à la lumière des lampadaires : un renard en vadrouille.


Geoffrey

– C’est vrai, ils ont la lumière des lampadaires alors pourquoi s’en priver… ? Ça me fait penser à un passage de votre livre où vous dites que l’humanité est en train de “remodeler” le renard, en modifiant son régime, la taille de son territoire, ses interactions sociales, sa longévité, les causes de sa mort… Vous pouvez expliquer ça ?


Adele

– En fait, on peut voir le renard comme une boulette d’argile qui est sans cesse remodelée par toutes les pressions qui s’appliquent dessus. Comme toutes les espèces, les renards subissent la sélection naturelle qui favorise certains traits dont les gènes se transmettent aux générations suivantes. Dans un environnement totalement sauvage, ces traits sont façonnés par des pressions naturelles, comme le climat, les compétiteurs, les maladies, les ressources alimentaires, etc. Mais les humains ont totalement modifié les règles du jeu et les pressions qui s’appliquent sur ces renards.


Geoffrey

– Je vois, est-ce que vous pouvez donner un exemple avec une des pressions que vous avez citées ?


Adele

– On peut parler des ressources alimentaires. En Pologne, j’ai étudié l'alimentation de renards qui vivent dans des forêts particulièrement sauvages avec un minimum de pressions humaines. J’ai constaté que les sangliers étaient une part importante de leur alimentation.


Geoffrey

– Les sangliers ? Comment un renard peut manger ça ?


Adele

– En nettoyant des carcasses de proies tuées par des loups, tout simplement.


Geoffrey

– Ah, mais oui ! Je me disais aussi qu’ils étaient un peu petits pour tuer des bestiaux pareils…


Adele

– Mais dans une grande partie de l’Europe, on a éradiqué les loups, et on a privé les renards de cette opportunité de se nourrir sur les carcasses de proies. Mais d’un autre côté, on a introduit toutes sortes de ressources alimentaires dans leur environnement, par exemple en introduisant le lapin de garenne bien au-delà de sa zone naturelle, en répandant des déchets dans les villages, ou en plantant toutes sortes d’arbres fruitiers dans les jardins. D’un coup, les renards qui sont capables d’exploiter ces nouvelles ressources ont un avantage par rapport à leurs semblables, il y a donc une pression de sélection créée par l’homme. Avec toutes ces ressources alimentaires, ces renards urbains peuvent vivre à des densités plus élevées que dans la forêt, et ça peut totalement altérer la structure classique de leurs territoires.


Geoffrey

– Donc vous pensez que les renards vont continuer à évoluer pour tirer le meilleur parti de ces ressources ?


Adele

– L’effet à long terme de la pression humaine est difficile à prédire, mais il participe bel et bien à remodeler ce qu’est un renard.


Geoffrey

– C’est vrai qu’ils ont une capacité assez remarquable de s’adapter à un environnement changeant. Vous avez dit que vous avez exploré des écosystèmes très variés, est-ce que vous avez un exemple extrême d’un endroit dans lequel vous avez été surprise de trouver des renards ?


Adele

– C’est vrai qu’il y a certains endroits sur Terre où on ne s’attendrait pas à trouver des renards, et pourtant, ils sont là. Je peux citer les prairies canadiennes : d’immenses étendues sans aucun arbre où rôdent des crotales et des coyotes. Les étés y sont brûlants, les hivers encore plus rudes, et le vent est assez violent pour renverser un train. J’étais vraiment émerveillée quand j’ai vu une famille de renardeaux jouer avec les restes d’une carcasse de cerf hémione. Les renards peuvent vraiment tirer le meilleur de chaque environnement.


Geoffrey

– Impressionnant, oui ! Quand on pense à des endroits pareils, les villages ruraux sont loin d’être inhospitaliers.


Adele

– Totalement. Le renard a une distribution géographique extrêmement vaste, il occupe toute l’Europe, l’Amérique du Nord, une bonne partie de l’Asie, et aussi l’Afrique du Nord.


Geoffrey

– Et j’imagine que les individus qui vivent dans des endroits aussi variés doivent avoir une apparence légèrement différente selon les régions pour s’adapter à différentes contraintes.


Adele

– Oui, j’ai pu remarquer des différences, il y a des adaptations physiques évidentes à différents climats. Dans les déserts salés d’Inde, j’ai constaté que les renards sont de couleur pâle, et plutôt courts sur pattes. En Croatie, ils ont de longues pattes et de grandes oreilles pour faciliter la perte de chaleur, et en Grande Bretagne, ils sont plus trapus, avec une fourrure dense pour résister à nos hivers plus froids.


Geoffrey

– J’aimerais qu’on revienne rapidement sur le régime alimentaire du renard. Vous écrivez dans votre livre que c’est un “généraliste avec un joker de spécialiste”. J’aime bien l’expression, est-ce que vous pouvez l’expliquer ?


Adele

– Les renards arrivent à se nourrir et à survivre n’importe où, des déserts arides jusqu’aux plus hautes montagnes. Leurs exigences en termes d’habitat et de nourriture sont extrêmement peu spécifiques. Pour prendre un exemple opposé, certaines orchidées sont très spécialisées, et ne peuvent survivre que sur un type de sol précis, dans un milieu à la végétation dégagée. Elles sont très bien adaptées à leur milieu, mais elles disparaissent si leur habitat est dégradé. Au contraire, le renard peut s’adapter même lorsque son habitat est détruit, ce qui est le cas actuellement. C’est le généraliste par excellence.


Mais quand je parle de “joker de spécialiste”, je parle du fait que les renards ont tout de même une spécialité notable pour laquelle ils sont particulièrement adaptés : la chasse aux rongeurs. Il suffit de voir un renard chasser les campagnols dans une prairie pour se convaincre que tout dans son anatomie est taillé pour cette activité. Son ouïe exceptionnelle lui permet de repérer le moindre mouvement de ses petites proies lorsqu’il braque ses oreilles vers le sol en avançant prudemment sur ses pattes fines. Sa queue touffue est aussi un très bon balancier quand il s’élance sur sa proie. On peut également citer le fait que son estomac est de petite taille, ce qui le rend adapté à des repas légers mais réguliers, contrairement aux loups qui doivent alterner entre de longues disettes et un afflux de viande énorme.


Geoffrey

– Je vois, donc ils ont les avantages d’une espèce généraliste, tout en étant particulièrement bien équipés pour une catégorie de proies.


Adele

– Eh oui, ils ont le meilleur des deux stratégies.


Geoffrey

– Parlons maintenant un peu de la vie sociale des renards. Ils font partie de la famille des canidés, tout comme les loups, alors c’est un bon point de comparaison. On sait que les renards ne forment pas de meutes comparables à celles des loups, alors on les imagine souvent comme des solitaires, mais est-ce que c’est vraiment le cas ?


Adele

– On a cette image solitaire des renards parce qu’on les voit souvent seuls à la recherche de nourriture. C’est parce qu’ils s’attaquent essentiellement à de petites proies, surtout des rongeurs. Mais ils sont aussi friands d’invertébrés et de fruits en tous genres. En tout cas, il n’est pas dans leur intérêt de chercher à manger en groupe. Au contraire, les loups ont besoin de coopérer pour chasser les grands herbivores, c’est la principale différence.


Malgré tout, les renards ont une vie sociale plus complexe qu’on pourrait le penser. Ils vivent souvent dans un noyau familial, avec un couple dominant qui se reproduit, les renardeaux de l’année, et parfois des individus subordonnés. Ce sont des jeunes de l’année précédente qui ne se reproduisent pas encore et aident à élever leurs petits frères et soeurs. En tout cas, tous les membres du groupe défendent le territoire contre les autres familles.


Dans les endroits où les ressources alimentaires sont abondantes, la taille des groupes familiaux est plus grande, et il peut y avoir davantage de subordonnés.


Si on se place dans un environnement urbain, avec une nourriture abondante et une forte population de renards, ce territoire peut être assez restreint et se limiter à 8 hectares, mais il peut faire plusieurs milliers d’hectares dans des zones plus sauvages.


Geoffrey

– Ah oui, la gamme de variations est large !


Adele

– C’est une nouvelle preuve de leur plasticité.


Geoffrey

– Donc le mode de vie des renards roux est très différent de celui des loups, mais est-ce que vous avez vu d’autres canidés qui ont un système social similaire ?


Adele

– Il y a encore beaucoup à apprendre sur le comportement d’autres espèces de canidés qui sont beaucoup moins étudiées, mais je peux citer leur proche cousin : le renard polaire. Eux aussi chassent souvent en solitaire, mais forment des groupes basés sur les liens familiaux.


Geoffrey

– Pour revenir au renard roux, comme on parle de comportement, est-ce que vous avez des souvenirs d’observations particulièrement mémorables ?


Adele

– J’en ai des tas, mais je peux citer ce phénomène que j’observe quelquefois, quand un groupe entier de renards se met à jouer comme une bande de chiots, en se roulant par-terre et en se poursuivant les uns les autres.

C’est aussi passionnant d’observer les postures d’intimidation d’un mâle dominant qui essaie de repousser un intrus de son territoire, ou encore un jeune couple qui se fait la cour en plein hiver.


Geoffrey

– Comme quoi, ces renards sont loin de vivre en ermites.


Adele

– Leur vie sociale est riche, et encore plus dans les environnements modifiés par l’homme où la densité de renards peut être plus élevée.


Geoffrey

– Bien, je pense qu’on va en rester là pour aujourd’hui. Mais avant de partir, je voulais vous demander si vous étiez d’accord pour répondre à d’éventuelles questions de nos auditeurices sur les renards.


 Adele

– Pas de problème, je répondrai avec plaisir.


Geoffrey

– C’est gentil ! Dans ce cas, si vous avez des questions sur les sujets que nous avons abordés, n’hésitez pas à les poser en commentaire de cet épisode, et je les traduirai en anglais pour les poser directement à Adele !


Merci à vous d’avoir suivi cet épisode des Échos du Loriot, on se retrouve dans le prochain épisode pour la deuxième et dernière partie de cette interview ! D’ici là portez-vous bien, et restez à l’écoute de la nature !