Les échos du Loriot

05 - Le renard roux, un voisin mal-aimé (2/2) avec Adele Brand

Geoffrey Ruaux Episode 5

Dans cette deuxième et dernière partie de notre interview d'Adele Brand, autrice d'un livre sur la biologie du renard roux, nous abordons les relations ambivalentes entre les renards et l'humanité. Tantôt adoré, tantôt méprisé, cet animal déchaîne les passions.


Crédits :

- Musique "Sunday Coffee" de Rebecca Mardal.
- Illustrations par Rohith W.
- Avec la voix de Sonia Cruchon.

Les Échos du Loriot, le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !

Épisode 05


Geoffrey

Bonjour à toutes et à tous ! On se retrouve pour un nouvel épisode des Échos du Loriot qui va poursuivre notre série sur le renard roux. Et on repart sans attendre dans la campagne anglaise pour retrouver Adele qui a écrit un livre passionnant sur cet animal. Je vous rappelle aussi que cette interview a été traduite de l’anglais par mes soins, et que le doublage français de notre invitée est assuré par Sonia Cruchon. Et maintenant, en route !



Transition


Geoffrey

– Bonjour Adele, ravi de vous retrouver dans ce paysage automnal.


Adele

– Bonjour Geoffrey ! C’est une ambiance parfaite pour parler du renard, vous ne croyez pas ?


Geoffrey

– Ça, c’est sûr ! Il y en a sûrement qui se promènent pas loin dans la pénombre. D’ailleurs, on a beaucoup parlé de leur vie sociale, la dernière fois, et je voulais revenir sur un aspect, c’est celui des vocalisations. Certains auditeurices ont peut être déjà entendu des cris de renard au crépuscule, et il faut avouer que ça n’est pas très rassurant.


Adele

– C’est vrai… On entend souvent le glapissement explosif que les renards poussent quand ils entament une interaction hostile avec un congénère.


Cris de renard au loin.


Geoffrey

– Ah oui, ça… J’avoue que dans l’obscurité, ça peut impressionner…


Adele

– Oui c’est sûr. En général, les deux individus ne s’attaquent pas, mais ils tentent d’effrayer leur adversaire avec ce genre de vocalisation. J’ai entendu les gens comparer ce cri à toutes sortes de choses : des singes, des hiboux, des cochons, des goélands, des chiens ou même des zombies…


Geoffrey

– J’ai parlé dans l’introduction de l’épisode précédent de la fameuse chanson “What Does the Fox Say?” qui est censée faire planer un mystère sur la voix du renard, en fait il a l’air tout sauf silencieux.


Adele

– Exactement, les renards communiquent de bien des façons, et ils peuvent se dire toutes sortes de choses. On dénombre au moins 12 types de vocalisations, et ils communiquent aussi avec des odeurs contenues dans leur urine et leurs excréments.


En hiver, pendant la saison des amours, on entend souvent le cri caractéristique du renard qui cherche un ou une partenaire dans la nuit.


Geoffrey

– Ah oui, donc en fait ces renards sont plutôt bavards.


Adele

– Beaucoup de gens en ont sûrement déjà entendus sans savoir que c’étaient des renards.


Geoffrey

– A part ses propres congénères, un renard est amené à interagir avec beaucoup d’espèces différentes. J’ai été surpris de lire dans votre livre que le blaireau est l’animal qui a le plus fort effet limitant sur les populations de renard, est-ce que vous pouvez expliquer comment ils interagissent ?


Adele

– On ne pense pas forcément au blaireau, c’est vrai. Le renard a des prédateurs naturels, comme le loup, le lynx ou l’aigle royal, mais ils n’ont qu’un effet limité sur sa population, et ce sont des animaux qui ont disparu ou fortement diminué dans de nombreuses régions d’Europe.


La principale interaction entre le blaireau et le renard est liée à la compétition : d’une part pour les ressources alimentaires, mais aussi pour les terriers. Ces deux animaux exploitent des ressources similaires, alors leurs populations interagissent et se limitent. La compétition est principalement indirecte, c’est-à-dire que chaque population limite l’autre en diminuant les ressources disponibles. Mais il y a parfois des contacts directs, et quand ils se rencontrent, c’est souvent le blaireau qui a l’avantage, il est plus gros et plus fort. C’est rare de voir ces deux animaux interagir, mais une de mes caméras posées en forêt a filmé une de ces rencontres. On voyait clairement que le renard faisait profil bas et laissait la place au blaireau. Dans les jardins, on peut parfois aussi observer ce genre de rencontre, et là encore, c’est souvent le renard qui s’efface, mais j’ai une fois filmé un renard qui s’est glissé derrière un blaireau et qui lui a mordu la queue !


Geoffrey

– Eh ben… Il y en a qui ne se laissent pas faire. Et vous avez observé d’autres interactions notables avec d’autres espèces ?


Adele

– Oui, j’ai souvent remarqué des interactions fascinantes entre les renards et les pies. Quand je vois un renard pendant la journée, il y a presque toujours une pie dans les parages. Peut être que les pies les suivent à distance pour garder un œil sur un rival ou une menace potentielle, mais c’est peut-être aussi dans l’espoir de leur chiper de la nourriture. Certaines sont assez audacieuses pour aller leur pincer la queue.


Une fois, j’ai même vu un renard qui était suivi à la trace par un groupe de neuf pies.


Geoffrey

– Ah oui, carrément ! Ce sont des oiseaux très intelligents, alors elles ont clairement une idée derrière la tête.


Adele

– Mais les interactions sont parfois aussi pacifiques, j’ai vu les deux animaux se tolérer à des distances très réduites sans s’en inquiéter.


Geoffrey

– En tout cas, les renards et les pies ont pour point commun d’être des opportunistes qui ont su tirer leur épingle du jeu dans les milieux modifiés par les hommes. Et ça me fait penser à une phrase de votre livre : “les animaux qui prospèrent malgré la civilisation sont rarement appréciés”. On peut penser aux rats, aux pigeons, aux pies, aux corneilles, et également aux renards qui sont abondants dans certaines grandes villes, comme à Londres, et ils n’ont pas forcément bonne réputation. Vous pouvez nous en dire plus sur cette tendance à détester nos voisins ?


Adele

– Absolument, c’est un phénomène assez paradoxal. Quand l’humanité malmène une espèce, détruit son habitat et la menace d’extinction, on traite cette espèce comme une célébrité, un trésor fragile qui a besoin de nous pour le sauver. Le panda est un exemple classique, tout le monde aime les pandas !


Mais à l’opposé, il y a les espèces qui ont le culot de nous résister, celles qui refusent de basculer sur la liste rouge, ou même qui prospèrent grâce à nous. Ces espèces-là, l’humanité va avoir tendance à les mépriser, ou à les considérer comme banales ou sans intérêt.


Geoffrey

– Un sacré paradoxe, oui…


Adele

– Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a des citadins qui s’intéressent vraiment à la nature et qui sont heureux de voir des animaux comme les renards dans leur ville. Malgré ça, tout le monde n’est pas aussi ravi, et les opposants au renard sont bien présents. Il y a deux types de raisons d’en vouloir aux renards. Il y a les raisons “pratiques”, comme quand quelqu’un a subi une attaque de renard sur son poulailler. Ce genre de problème peut être résolu par un raisonnement logique et un équipement adapté, comme une clôture appropriée. Par contre, le deuxième type de raison d’en vouloir aux renards est “idéologique”, ceux qui pensent que la nature n’a pas sa place dans une ville. Là on arrive sur un problème socio-culturel, et la science n’est pas capable d’y apporter une solution directe.


Geoffrey

– Je vois, le plus difficile ça reste de faire changer les mentalités. En France, le renard n’a pas non plus une très bonne image, en tout cas aux yeux de la loi. Malgré les services qu’il rend à l’agriculture en dévorant des tonnes de rongeurs, il est classé comme “nuisible” depuis très longtemps. Maintenant, l’appellation a évolué pour devenir plus politiquement correcte : c’est devenu une “espèce susceptible d'occasionner des dégâts”. Dans les faits, ça ne change pas grand-chose. En gros, un arrêté préfectoral peut autoriser la destruction des renards dans une région donnée, que ce soit en utilisant le piégeage, le tir ou même le déterrage.

Est-ce que son statut légal est différent au Royaume-Uni ?


Adele

– En Grande-Bretagne, la loi protège les renards contre certains types de traitements cruels. Elle interdit désormais les collets, les pièges à mâchoires, le gazage, l’empoisonnement, et la chasse avec une meute de chiens. Malgré ça, les renards sont toujours régulièrement tués avec d’autres méthodes. Il y a un gouffre énorme entre le statut des mammifères sauvages et celui de beaucoup d’autres animaux. Par exemple, la loi protège l’intégralité des oiseaux, sauf dans certaines circonstances spécifiques. Donc on peut dire que n’importe quel pigeon est davantage protégé par la loi qu’un renard.

Et pour ce qui est des perspectives, rien ne laisse penser que ces lois vont être amenées à beaucoup évoluer dans un futur proche.


Geoffrey

– Je vois, le renard a du mal à se défaire de son image dans la conscience populaire. Mais en tout cas, il est de plus en plus amené à croiser la route des citadins dans de nombreuses villes. D’ailleurs, je voulais vous demander, quels sont les environnements urbains les plus improbables dans lesquels vous avez trouvé des renards ?


Adele

– Ah, j’ai beaucoup d’anecdotes sur le sujet. J’ai déjà croisé un renard juste devant une station essence. J’ai également trouvé une famille entière qui vivait dans une ruelle derrière un skatepark. Il m’arrive aussi de voir des adultes et des renardeaux se prélasser au soleil sur une pelouse devant un immeuble, ou sur un talus au bord de la voie ferrée pendant que des trains bondés passent juste à côté. Certains ont tendance à exagérer l’importance des voies ferrées en tant qu’habitat pour les renards, mais c’est vrai qu’il n’est pas rare qu’ils vivent à proximité, et on peut parfois les apercevoir assis sur le quai de la gare.


Je n’ai encore jamais vu de renard prendre place dans un bus ou dans le métro, mais ces deux situations ont déjà été photographiées à Londres. Il y a aussi cette fameuse histoire du gratte-ciel qu’on appelle le Shard, dans lequel un renard a été aperçu au 72e étage alors que le bâtiment était en construction.


Geoffrey

– Eh ben, ils n’ont vraiment pas froid aux yeux, ces renards ! Mais en se baladant dans tous ces lieux, ils doivent être amenés à croiser des humains assez souvent. Quelles sont les interactions les plus notables que vous avez observées entre les humains et les renards ?


Adele

– C’est vrai que les renards ne passent pas toujours inaperçus. Ça me rappelle notamment un jour où j’étais dans mon bureau, à Londres. Tout le monde était absorbé par ses tâches dans une ambiance frénétique et stressante. Mais soudain, une renarde et trois renardeaux sont apparus par la fenêtre. Tout le monde s’est précipité pour les admirer. Tous ces gens stressés par leur travail affichaient soudainement un large sourire. C’est un des effets du renard.


Geoffrey

– C’est beau que la simple vue de cet animal suffise à redonner le sourire. On essaie souvent de “quantifier” la valeur des animaux pour justifier leur protection, mais il y a certaines choses qui ne se mesurent pas avec des chiffres.


Adele

– Exactement. Quand un renard visite régulièrement un jardin, il peut finir par devenir un être très important aux yeux des propriétaires. J’en connais qui leur donnent des noms, ou qui les nourrissent, même si cette pratique est controversée. Et ils n’hésitent pas à contacter des centres de soins de la faune sauvage s’ils trouvent un renard malade ou blessé. La bienveillance dont sont capables les gens dans de telles situations peut être très touchante. Et quand ces passionnés suspectent qu’un renard a été tué illégalement, ils en informent les autorités.


Geoffrey

– Ah oui, donc le renard est vraiment un animal qui déchaîne les passions, dans un sens comme dans l’autre.


Adele

– En effet. Et pour revenir à votre question, il y a une autre interaction plus indirecte et plus inattendue entre nous et les renards : on leur fournit involontairement toutes sortes de jouets. Les renards adorent ramasser tous les objets qui traînent sur leur territoire : des jouets pour chien, des vieux emballages, des balles de golf, et ils aiment aussi jouer sur les trampolines dans les jardins. Mais ce qu’ils adorent par dessus tout, ce sont les chaussures. Certains renards sont connus pour avoir volé plus d’une centaine de chaussures ! Et dans mon village, on a un renard qui arrive même à voler de grosses bottes en caoutchouc. 


Geoffrey

– Ils savent aussi se montrer farceurs, finalement ! C’est vrai qu’on ne soupçonnerait pas forcément un renard quand des chaussures disparaissent.


Maintenant, j’aimerais aborder un sujet un peu moins léger. On a dit que le renard ne faisait pas toujours l’unanimité, et à vrai dire, même les défenseurs de la nature sont parfois amenés à le chasser. J’ai lu le livre “Curlew Moon” de Mary Colwell, qui parle du déclin du courlis cendré, c’est un grand oiseau qui niche dans les landes et les tourbières, et qui diminue fortement en Europe. C’est un échassier qui niche au sol et qui est assez exposé aux prédateurs pendant la nidification. Je parle de ce livre car l’autrice mentionne que dans certaines réserves naturelles au Royaume-Uni, les gestionnaires ont pris la décision d’abattre des renards et des corneilles pour limiter la prédation sur les œufs et les poussins des oiseaux qui nichent au sol. C’est un sujet assez épineux, mais certains pensent que c’est indispensable pour aider les populations d’oiseaux menacés dans des paysages qui ont été trop dégradés par l’agriculture. Qu’est-ce que vous pensez de cette pratique ?


Adele

– C’est un sujet complexe, oui. La première cause de disparition des espèces en Europe est la destruction de leur habitat, principalement à cause de l’agriculture intensive. Mais les oiseaux qui nichent au sol ont des problèmes supplémentaires. Ils subissent de nombreux dérangements, notamment à cause des chiens sans laisse. Ils sont aussi exposés aux incendies qui surviennent dans les landes. Et il faut bien admettre que dans certains cas, la survie de leurs poussins est réduite par la prédation de certaines espèces, notamment le renard.


Mais il faut bien comprendre que ce problème ne sort pas de nulle part. La densité des populations de renards dépend de nombreux facteurs dans le paysage. Une étude récente dans le parc national de New Forest, dans le sud de l’Angleterre, a montré comment les ressources alimentaires fournies par les humains peuvent favoriser les renards, même dans une région aussi vaste et sauvage que ce parc national. Par exemple, les déchets négligemment stockés dans les villages alentour constituent une ressource importante. L’étude conclut que les méthodes de gestions devraient avoir une approche plus globale, en prenant en compte les populations locales et en participant à la sensibilisation et à l’éducation, pour éviter de nourrir les renards par inadvertance. Ce n’est pas juste en tirant sur un maximum de renards qu’on va résoudre le problème, il faut comprendre les causes sous-jacentes.


Geoffrey

– C’est vrai, le fonctionnement des écosystèmes est complexe, et c’est de plus en plus difficile de maintenir un semblant d’équilibre dans ces milieux qu’on a fortement altérés.


Pour finir, j’aimerais vous demander si vous aviez des projets en cours dont vous aimeriez parler.


Adele

– Pour tout vous dire, je prévois d’écrire un nouveau livre. Je ne veux pas trop en révéler pour le moment, alors je me contenterais de vous dire que je suis emballée par le concept !


Geoffrey

– Ah, une révélation intéressante ! Eh bien, on restera à l’affût de nouvelles informations à son sujet, alors.


Est-ce que vous aimeriez conclure en adressant un dernier mot à nos auditeurices ?


Adele

– Avec plaisir ! J’aimerais juste dire que les renards marchent chaque nuit dans nos pas, ils vivent là où nous vivons, et ils voient les mêmes paysages avec une perspective très différente de la nôtre. Parfois, on a du mal à cohabiter, mais ces animaux nous offrent une opportunité unique de nous reconnecter à la nature, et ils nous rappellent l’importance de la science pour nous aider à mieux comprendre ces êtres qui nous entourent.


Geoffrey

– Voilà une superbe conclusion ! Merci beaucoup, Adele, d’avoir participé à cette interview !


Adele

– Merci pour l’invitation, c’était un plaisir !


Transition


Geoffrey

– Voilà qui conclut notre série d’épisodes sur le renard, merci à vous de nous avoir suivis ! On se retrouve dans le prochain épisode pour un nouveau sujet et une nouvelle interview ! Comme d’habitude, n’hésitez pas à poser vos questions en commentaires, ou à proposer des intervenants anglophones ou japonophones pour de futures interviews. D’ici là portez-vous bien, et restez à l’écoute de la nature !