Les échos du Loriot
Le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Ce podcast présente des traductions françaises d'interviews réalisées avec des journalistes, scientifiques et naturalistes qui parlent anglais ou japonais.
Découvrez ou redécouvrez des animaux, des plantes, et des problématiques de l'écologie, à travers de nouveaux points de vue !
Les échos du Loriot
07 - Les pics et leurs locataires (2/2) avec Marco Basile
Dans cette deuxième partie de notre série consacrée aux pics, Marco Basile, chercheur spécialiste des écosystèmes forestiers, nous explique comment ces oiseaux fournissent le gîte à de nombreuses espèces. Il parle également de l'impact de certaines pratiques de foresterie sur la quantité de bois mort et la biodiversité qui en dépend.
Crédits :
- Musique "Sunday Coffee" de Rebecca Mardal.
- Illustrations par Rohith W.
- Avec la voix de Robin Grimaldi.
Les Échos du Loriot, le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Épisode 07
Geoffrey
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Échos du Loriot qui est la deuxième et dernière partie de notre série consacrée aux pics !
La dernière fois, on a rencontré Marco Basile, un chercheur en écologie spécialiste des forêts, et il nous a parlé des spécificités de la famille des pics, ces oiseaux qu’on entend parfois tambouriner dans les bois. On va le retrouver dans une forêt d’épicéas des Dolomites, pour approfondir ce sujet.
Je vous rappelle aussi que cette interview est traduite de l’anglais, et que c’est Robin Grimaldi qui assure le doublage français de notre invité.
Et maintenant, retournons dans les Alpes italiennes !
Transition
Geoffrey
– Bonjour Marco ! Ravi de vous retrouver dans cette forêt qui regorge de vie.
Marco
– Bonjour Geoffrey ! C’est un endroit génial, pas vrai ? On entend toujours quelque chose de nouveau quand on tend bien l’oreille.
Geoffrey
– La dernière fois, on a parlé de toutes les adaptations des pics à leur mode de vie unique. Ces oiseaux ont un tel effet sur leur environnement qu’on les appelle parfois des ‘espèces clés de voûte”. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette expression ?
Marco
– C’est une belle métaphore, oui. En architecture, une clé de voûte est une pièce qui soutient l’ensemble d’une voûte en maintenant les pierres qui la constituent. Et les pics ont un peu cette fonction dans les écosystèmes, car ils permettent de maintenir une grande diversité d’espèces dans leur habitat. Leur rôle le plus important est de créer de nombreuses cavités qui servent à tout un tas d’espèces.
Beaucoup d’animaux dans la forêt utilisent les cavités naturelles dans les arbres pour s’abriter, pour passer l’hiver, ou pour élever leurs petits. Elles servent à des oiseaux, comme le pigeon colombin ou la chouette de Tengmalm, mais aussi à des mammifères, comme l’écureuil roux ou la martre des pins, et elles servent même à des insectes, comme les abeilles et les guêpes.
Beaucoup d’espèces de pics préfèrent construire une nouvelle loge chaque année, donc leurs anciennes cavités peuvent être réutilisées par d’autres espèces. Et même en une seule année, un couple de pics peut creuser plusieurs cavités. Une fois qu’ils établissent un territoire, ils peuvent commencer à creuser une loge pour élever leurs petits, mais il arrive qu’ils abandonnent l’excavation avant la fin, par exemple s’ils réalisent que l’endroit n’est pas assez sécurisé. Parfois, ils peuvent aussi creuser plusieurs cavités pour brouiller les pistes et tromper les prédateurs. Donc le nombre de cavités augmente chaque année et cela crée dans la forêt ce qu’on appelle une “chaîne de nids”. C’est un concept proche de l’idée de chaîne alimentaire. Toutes les espèces sont interconnectées. Dans la chaîne de nids, vous avez le premier occupant, souvent un pic qui a creusé la cavité, et il y a ensuite tout un ensemble d’occupants secondaires qui réutilisent la cavité. Après une longue période, certaines loges peuvent même se remplir d’eau et servir de lieu de vie à toutes sortes d’invertébrés. Donc il y a vraiment toute une chaîne d’espèces qui dépendent des pics.
Geoffrey
– C’est impressionnant le nombre d’animaux qui utilisent ce ces cavités. Mais même sans les pics, est-ce qu’il n’y aurait pas des cavités naturelles dans les arbres ?
Marco
– C’est une bonne remarque, et en fait, ça dépend grandement du type de forêt dont on parle. Dans les forêts tropicales, les cavités formées naturellement sont les plus communes. C’est parce que les processus naturels de dégradation du bois sont plus rapides grâce à une température et une humidité élevées. C’est justement dans ce genre d’écosystèmes qu’on trouve beaucoup de pics qui ne creusent pas forcément de cavités.
En Europe, le climat est plus tempéré, et nos forêts sont majoritairement gérées par des activités humaines. La formation naturelle de cavités est minimale dans ces conditions. Donc les pics sont vraiment les principaux fournisseurs de loges.
Geoffrey
– Ah oui, c’est parce que dans nos forêts, les arbres ont rarement le temps de pourrir et de former des cavités naturelles, c’est ça ?
Marco
– Tout à fait. Beaucoup d’arbres n’ont pas le temps d’atteindre un âge avancé. Par exemple, les épicéas sont souvent abattus dès qu’ils atteignent la maturité. Ce critère est purement économique et désigne un arbre âgé d’environ 50 à 80 ans qui a une taille suffisante pour avoir une valeur commerciale. Mais à l’échelle de la vie d’un épicéa, ce sont des arbres assez jeunes que l’on abat, car ils peuvent facilement atteindre 300 ans. Les cavités naturelles se forment surtout sur de vieux arbres, par exemple quand ils perdent une branche et ne parviennent pas à refermer leur blessure. En tout cas, ces processus demandent du temps, beaucoup de temps. Heureusement, les pics peuvent créer ces cavités bien plus rapidement.
Geoffrey
– Je vois. Dans l’épisode précédent, on a surtout parlé des trois espèces principales dans votre forêt : le pic tridactyle, le pic noir et le pic épeiche. Ils ont des tailles et des modes de vie légèrement différents, mais est-ce qu’ils peuvent tous créer ce genre de cavités ?
Marco
– Absolument, ils en sont tous capables. Ces trois espèces sont dominantes dans les forêts que j’étudie, mais on trouve aussi d’autres espèces dans nos régions. On peut citer le pic vert, facilement reconnaissable à sa couleur, et aussi le pic cendré, qui est un proche cousin. On entend facilement le cri du pic vert tout au long de l’année. Le pic cendré, lui, est plus discret et difficile à repérer, mais il creuse parfois des loges très jolies et reconnaissables, car il peut choisir de creuser sa cavité sous des champignons qui ont poussé le long du tronc, donc ça fait comme un toit au-dessus du trou d’entrée, pour le protéger de la pluie.
Geoffrey
– Ah oui, ça doit ressembler à une petite maison de lutin de la forêt !
Marco
– Oui, ça fait penser à ça !
Ensuite, il y a d’autres espèces de pics qui ont un plumage noir et blanc et qui ressemble davantage au pic épeiche : il y a notamment le pic mar et le pic épeichette, qui est le plus petit, il fait à peine la taille d’un moineau.
Geoffrey
– Donc entre le pic épeichette et le pic noir, il y a une large gamme de taille. Alors j’imagine que chaque espèce de pic crée des cavités adaptées à sa taille, et qui servent à différents animaux.
Marco
– C’est exactement ça. Dans cette chaîne de nids dont on a parlé, les cavités se répartissent en différentes tailles, et ça permet de limiter la compétition entre les espèces. Par exemple, une chouette ne va pas s’intéresser à la même cavité qu’une mésange ou une martre.
Geoffrey
– Maintenant qu’on a une idée claire du rôle des pics dans l’écosystème forestier, je vous propose de parler un peu plus des méthodes de gestion de la forêt, et de comment elles impactent ces animaux. Vous avez publié un article qui passe en revue la littérature scientifique sur une méthode de gestion qu’on appelle la coupe de récupération. Est-ce que vous pouvez nous expliquer de quoi il s’agit ?
Marco
– La coupe de récupération consiste à récolter du bois sur des arbres morts ou mourants après un incident comme une tempête, un incendie, une sécheresse, ou une épidémie. En général, cette pratique est motivée par deux objectifs : minimiser les pertes en vendant le bois avant qu’il ne pourrisse, mais aussi éviter qu’une infestation de parasites n’éclate dans un peuplement forestier avec beaucoup d’arbres morts ou affaiblis.
Geoffrey
– Je vois, et ça existe même dans les zones protégées ?
Marco
– Absolument. Dans certains cas, la coupe de récupération est même une obligation légale, qu’on soit dans une réserve naturelle ou pas.
Geoffrey
– Ah oui, donc ce n’est même pas un choix qui revient aux gestionnaires.
Marco
– Exactement. Mais depuis une quinzaine d’années, de nombreuses études ont montré que cette pratique avait un effet délétère sur la biodiversité des forêts, car ce bois mort et pourrissant est une ressource importante pour de nombreuses espèces, et notamment les pics..
Geoffrey
– Mais quand on parle de “bois mort”, est-ce que ce sont des arbres abattus, ou est-ce qu’ils sont toujours debout ?
Marco
– Les deux cas de figure existent. Il peut y avoir des troncs morts qui ont perdu beaucoup de branches mais qui tiennent encore debout et qui pourraient abriter toutes sortes d’animaux. Il y a aussi des troncs ou des branches tombés à terre… et tous ces types de bois mort peuvent servir à toutes sortes d’espèces. Alors quand on retire ces ressources, beaucoup d’animaux sont impactés.
Geoffrey
– Ah, je vois. Les pics, par exemple, ont plus de mal à trouver de la nourriture et des arbres pour tambouriner ou nicher, c’est ça ?
Marco
– Exactement. Et comme on l’a dit plus tôt, ces oiseaux sont une clé de voûte dans l’écosystème forestier, donc si vous fragilisez la clé de voûte, tout l’édifice s’écroule. On comprend alors que les impacts négatifs de la coupe de récupération peuvent prendre des proportions immenses en réduisant les populations de pics qui fournissent des loges à toute la forêt.
Geoffrey
– Mais malgré ça, vous avez dit que cette pratique est souvent une obligation légale. Pour quelles raisons ?
Marco
– Il y a des raisons de sécurité, notamment près des sentiers. Mais c’est aussi parce que ce bois mort est un lieu de reproduction pour certains insectes parasites qui peuvent avoir un impact important sur la forêt. Parmi les plus connus, on peut citer une famille de coléoptères qu’on appelle les scolytes. Ces insectes vivent d’ordinaire à de faibles densités. Ils se reproduisent en creusant des galeries sous l’écorce des arbres affaiblis ou malades, et leurs descendants se dispersent aux alentours.
Geoffrey
– Et ils ne peuvent pas s'attaquer à n’importe quel arbre ?
Marco
– En général, les arbres en bonne santé ont des moyens de défense qui leur permettent de résister. Par exemple, ils peuvent noyer leurs parasites avec un afflux de sève ou de résine.
Mais quand une grande quantité de bois mort apparaît d’un coup dans la forêt, à la suite d’un incident comme une tempête ou une sécheresse, la population de scolytes peut augmenter très rapidement.
Geoffrey
– En plus, avec le changement climatique, les évènements comme les tempêtes et les sécheresses risquent de devenir de plus en plus fréquents.
Marco
– Tout à fait. La fréquence des perturbations augmente, et quand la population de ces scolytes explose, il y a tellement de parasites qu’ils finissent par s’attaquer en masse à des arbres en bonne santé. Ils sont alors tellement nombreux que les défenses ordinaires des arbres ne sont plus suffisantes. Donc les effets de la tempête ou de la sécheresse prennent des proportions encore plus dramatiques avec une mortalité de masse des arbres.
Geoffrey
– Donc ce risque d’invasion explique cette obligation pour les gestionnaires de retirer le bois mort après les évènements extrêmes. Mais alors selon vous, quelle serait la solution pour éviter ces invasions de parasites tout en conservant les bénéfices du bois mort dans la forêt ?
Marco
– Déjà, il faut comprendre que ce problème est aggravé par un héritage qu’on a récupéré du siècle dernier. Pour favoriser le rendement et les bénéfices économiques, de nombreuses forêts ont été transformées en plantations monospécifiques. C’est-à-dire qu’une seule espèce d’arbre est présente en grande majorité. On voit ça notamment avec des conifères comme l’épicéa. Sous nos latitudes, ces épicéas sont principalement des espèces de montagne, mais on les a plantés massivement en plaine, en dehors de leur habitat naturel. Dans ces conditions plus chaudes qu’en altitude, les épicéas poussent plus vite, mais ils peuvent être aussi plus faibles face à leurs parasites.
Un autre point à comprendre, c’est que ces parasites sont souvent spécialisés pour infester une seule espèce. Dans une forêt diversifiée, avec toutes sortes d’arbres, un parasite qui vient de tuer un arbre aura plus de mal à trouver sa prochaine victime, et les invasions seront moins massives. Mais quand il n’y a qu’une seule espèce dans la forêt, le parasite n’a que l’embarras du choix et peut se reproduire en masse.
Geoffrey
– Ça me fait penser à l’effet négatif de la monoculture. Si un champ ne contient que du blé, il est beaucoup plus sensible aux invasions de parasites par rapport à un champ contenant toutes sortes de plantes.
Marco
– Oui, ça fonctionne de la même façon. Donc aujourd’hui, on doit porter ce fardeau dont on a hérité, alors les normes actuelles tendent à favoriser le mélange de différentes essences d’arbres.
Geoffrey
– Et on est bien d’accord que les scolytes sont originaires d’Europe et ne sont pas une espèce invasive ?
Marco
– Absolument. Les scolytes étaient là bien avant nous, et les forêts n’ont pas disparu pour autant. Mais suite aux pratiques de plantations monospécifiques dont j’ai parlé, il y a vraiment eu un déséquilibre et des invasions extrêmes dans les quarante dernières années.
Geoffrey
– Et donc, pour limiter ces impacts, il faudrait plutôt tenter de mélanger plusieurs espèces d’arbres et de laisser au moins une partie vieillir normalement. Est-ce que c’est faisable dans des massifs forestiers qui ont un objectif commercial ?
Marco
– Oui, c’est possible, mais ça demande du temps, bien sûr. Des expériences ont déjà été faites, mais plutôt dans des zones protégées qui n’ont pas vraiment d’intérêt économique. Dans des endroits désignés, des scientifiques ont laissé les arbres vieillir et mourir normalement, et après une trentaine d’années, ils ont constaté une forte augmentation de la biodiversité dans tous les groupes d’espèces, que ce soit les insectes, les oiseaux, les mammifères… Il y avait plein de raisons à ce résultat, mais le message clé est que ce bois mort est une ressource majeure qui bénéficie à toute la forêt sur le long terme. Mais ces expériences n’ont pas fait l’unanimité, car même si elles avaient lieu dans des zones protégées, certains parasites pouvaient migrer vers des plantations commerciales, ce qui a fait grincer des dents chez certains gestionnaires.
Geoffrey
– Ah oui, c’est difficile de satisfaire tout le monde…
Marco
– Dans notre domaine, on doit sans arrêt faire des compromis. Il faut choisir entre favoriser la biodiversité ou le profit immédiat, et il faut trouver un juste milieu pour ne léser personne. Évidemment, l’éternel problème du compromis c’est que personne n’est entièrement satisfait non plus…
Geoffrey
– Mais une fois l’invasion de scolytes débutée, comment se débrouillent les gestionnaires pour lutter contre les parasites ?
Marco
– L’un des moyens principaux est une variante de la coupe de récupération, on appelle ça la “coupe d’assainissement”. Elle consiste à couper le plus d’arbres infestés possible pour limiter la propagation des scolytes. Dans certains cas, il faut même couper des arbres sains pour créer une zone tampon sans arbre et ainsi confiner l’infestation.
Geoffrey
– Ah oui, c’est assez extrême, quand même…
Marco
– Oui, et même si cette pratique peut avoir un effet localisé et à court terme pour ralentir l’invasion, son efficacité à grande échelle n’a pas été prouvée. En Suisse, on a une contrainte claire avec la topographie. Les machines utilisées pour ces opérations ne peuvent pas accéder à n’importe quel massif forestier, et il suffit de manquer une zone infestée dans une vallée escarpée pour que les scolytes continuent à se reproduire et à se répandre dans la région. Quand ils quittent un arbre mort, les scolytes sont dotés d’ailes et peuvent être emportés par le vent sur de grandes distances.
Geoffrey
– Donc finalement ils peuvent traverser une zone tampon de quelques centaines de mètres ?
Marco
– Absolument, ça ne leur pose aucun problème. Ils sont arrivés en Angleterre en survolant la Manche, donc leur capacité de dispersion est grande…
Geoffrey
– Ah oui, carrément…
Marco
– Oui. Quand les anglais ont commencé à planter des épicéas, ils ont rapidement constaté l’arrivée de ces parasites qui avaient pris la voie des airs.
Geoffrey
– Donc c’est vraiment difficile de leur échapper. Mais alors comment faire pour repérer l’infestation le plus tôt possible ?
Marco
– En général, les scolytes pénètrent dans l’arbre par la partie haute, donc c’est d’abord la cime de l’arbre qui brunit. Mais traditionnellement, on parcourt les forêts à pied pour inspecter l’état de santé des arbres. Donc si on regarde d’en bas un arbre en début d’infestation, il peut être totalement vert, on ne voit pas la cime qui commence à brunir. Donc aujourd’hui, de nouvelles techniques se développent pour utiliser des images prises par satellite ou par drone pour identifier les infestations le plus tôt possible.
Geoffrey
– Ah oui, là c’est de la foresterie de haute technologie !
Marco
– Malgré tout, ces méthodes sont loin d’être imparables, car les forêts de conifères sont très denses, et les infestations sont loin d’être évidentes à repérer. Il n’y a donc pas de solution miracle pour échapper aux scolytes. Et avec le changement climatique qui va augmenter la fréquence des perturbations et favoriser les infestations, il est plus que jamais essentiel d’entamer une transition vers des forêts bien plus diversifiées avec plus d’essences d’arbres.
Geoffrey
– Les perspectives ne sont pas très joyeuses si rien ne change…
Marco
– Mais tout n’est pas si noir. Pour les pics, c’est une chance, car ça fait des décennies qu’ils font face à une diminution de la quantité de bois mort dans leurs forêts, mais l’afflux de nourriture et de bois mort provoqué par ces infestations pourrait les favoriser et renforcer leur rôle clé dans l’écosystème.
Geoffrey
– Ah oui, c’est vrai. D’ailleurs, j’ai vu que vous étiez en train de travailler sur un projet qui étudie le lien entre les populations de pics et celles de scolytes. Est-ce que vous pouvez expliquer vos hypothèses, et comment vous vous y prenez ?
Marco
– Cette recherche s’articule autour de deux axes. D’abord, on utilise des données prélevées sur le long terme, depuis les années 80. Ces données recensent la quantité de bois infesté par les scolytes dans les forêts suisses, mais aussi le nombre de scolytes capturés dans des pièges à phéromones.
Geoffrey
– Est-ce que vous pouvez expliquer comment fonctionnent ces pièges ?
Marco
– C’est une méthode bien établie pour étudier les populations d’insectes. Les phéromones sont des molécules volatiles émises par les insectes pour communiquer. Elles peuvent par exemple servir à attirer des congénères. Si on connaît la molécule qui attire l’espèce de scolyte qu’on étudie, on peut l’attirer dans les pièges adéquats. À l’époque, on pensait que ces pièges pouvaient avoir un effet protecteur sur les arbres, mais il y a tellement de scolytes lors d’une invasion que les pièges sont rapidement saturés. Donc aujourd’hui, on utilise uniquement ces pièges pour surveiller l’évolution des populations de parasites.
Bref, on avait ces données sur les scolytes, et également des chiffres sur les populations annuelles des différentes espèces de pics. Avec ces données, on a créé un modèle pour tenter de comprendre si les invasions de scolytes avaient un effet sur l’abondance des pics. Ça peut paraître trivial comme question puisque les pics se nourrissent de ces insectes. Mais les invasions de parasites peuvent être très localisées, et une augmentation du nombre de pics à un endroit donné pourrait juste être liée à des individus qui se déplacent, sans augmentation de la population à l’échelle d’une région.
Geoffrey
– Mais est-ce que les pics ne défendent pas leur territoire ?
Marco
– C’est exact, ce sont des animaux territoriaux, mais quand ils sont dans un environnement très riche en ressources, la taille des territoires peut se réduire car ils n’ont plus besoin d’une vaste zone pour se nourrir. Donc le nombre de pics qui peuvent vivre dans une région donnée change chaque année en fonction de l’abondance des proies.
Finalement, on a trouvé que les populations de scolytes avaient bien un effet significatif sur l’abondance des pics, donc le nombre de ces oiseaux augmente lors des invasions de parasites. On l’a vu particulièrement pour le pic noir et le pic tridactyle.
Geoffrey
– Et donc est-ce qu’on pourrait voir ces pics comme une aide potentielle face aux invasions de scolytes ?
Marco
– Bonne question ! C’est une hypothèse qui intéresse de nombreux chercheurs, mais il est encore difficile de le prouver sans le moindre doute. À mon avis, l’effet des pics n’est pas significatif à l’échelle d’une région. Il y a juste beaucoup trop de scolytes. En revanche, si on se place à l’échelle locale, sur une parcelle donnée, il a déjà été observé que les pics peuvent réduire l’abondance des parasites.
Geoffrey
– Je pense qu’on a fait un bon tour d’horizon de cette problématique et qu’on a une bonne vision d’ensemble du sujet. Pour faire un bilan de ces deux épisodes, on peut quand même dire que les pics rendent de nombreux services aux forêts, et que le but à l’avenir va être de concilier les processus naturels avec les bénéfices économiques.
Marco
– Oui, et c’est aux plans de gestion de prendre tout ça en compte, à toutes les échelles du territoire. L’idéal semble être de délimiter des îlots de sénescence. Ce sont des zones où les arbres peuvent vieillir et le bois mort s’accumuler, tandis que d’autres zones sont dédiées aux activités commerciales. Le compromis entre biodiversité et économie sera au centre d’une gestion durable des forêts.
Geoffrey
– Merci beaucoup Marco pour cette conclusion, et merci d’avoir participé à cette interview ! On a appris beaucoup de choses sur le rôle des pics et le fonctionnement des forêts !
Marco
– Merci à vous pour l’invitation. C’est toujours un plaisir de discuter de mes recherches !
Transition
Geoffrey
Merci à vous d’avoir suivi cet épisode qui conclut notre interview consacrée aux pics. Pour finir, je vous propose d’écouter un message en anglais enregistré par Marco lors de notre interview originale. Il s’adresse à vous pour conclure cette série.
Message en anglais :
Hi, I’m Marco! Thank you for listening about woodpeckers, they are great birds, full of surprises. Next time you’re in a forest, please pay attention, you may hear one.
Geoffrey
Marco nous conseille de bien tendre l’oreille la prochaine fois qu’on s’aventure en forêt, parce qu’on pourrait bien entendre le tambourinage d’un pic. N’hésitez pas à essayer de reconnaître les cris et les tambourinages des pics autour de chez vous.
On se retrouve bientôt pour une nouvelle interview sur un oiseau qui a un comportement de reproduction très particulier… D’ici là portez-vous bien, et restez à l’écoute de la nature !